Cannes 2023 : JEUNESSE / Critique

18-05-2023 - 19:00 - Par

Cannes 2023 : JEUNESSE / Critique

De Wang Bing. Sélection officielle, Compétition.

 

Une immersion dans le quotidien d’ateliers de confection en Chine, par le maître du documentaire fleuve. Une expérience – qui a ses limites.

La taille chez Wang Bing, ça compte. Le documentariste chinois ne conçoit son cinéma qu’à travers l’écoulement du temps, le colossal d’une caméra qui filmerait sans fin, d’un art qui épouserait la vie. Epuiser l’œil pour l’obliger à voir. Le projet est radical et a permis à Wang Bing, depuis À L’OUEST DES RAILS, film de 9h sur la mort de l’industrie en Chine, de devenir un auteur scruté dans les festivals. Son entrée en compétition à Cannes avec JEUNESSE était donc très attendue. Il y a toujours quelque chose de l’exploit, de l’effort à s’engouffrer dans ce cinéma qui, comme une litanie, puise dans le réel et l’épuise. JEUNESSE reste pourtant un « petit » Wang Bing : 3h30 enfermé dans le quotidien répétitif de jeunes ouvriers et ouvrières chinois qui chaque jour, cousent et fabriquent des vêtements à la chaîne. Une durée relativement courte qui n’est en fait que la première partie d’une trilogie. Un projet que le réalisateur tourne depuis des années, un portrait de la vie ouvrière chinoise dont ce JEUNESSE incarne une forme de printemps.

Car au milieu des couloirs sales de la cité dortoir de Zhili (ville ouvrière à quelques kilomètres de Shanghaï), dans les chambres où s’entassent les matelas en désordre, dans les ateliers où vrombissent les machines sans répit, la jeunesse est là, éclatante, insolente, amoureuse, joueuse. Des groupes de jeunes gens, d’une vingtaine d’années, des garçons et des filles, que la caméra de Wang Bing attrape au vol. Séductions, engueulades, poids de la famille, rêves d’ailleurs ou propos désabusés, le film est comme une somme de moments, d’instants qui se répètent où l’on passe d’un personnage à l’autre, sans jamais les revoir. Une sorte de portrait mouvant de la jeunesse où chaque instant filmé, aussi dramatique ou anecdotique soit-il (des discussions salariales, des chamailleries garçon-fille, une histoire d’amour naissante…) n’est qu’un moment. C’est le tour de force de JEUNESSE mais aussi sa limite.

Le film donne en effet l’impression d’être au cœur de la vie : sans dramatisation, aucune hiérarchie de personnages (ils apparaissent et disparaissent) et le temps s’écoule en nous d’une manière rare. On s’accroche aux gestes – répétitifs et fascinants (la dextérité des ouvriers devant leur machine donne l’impression que les images ont été accélérées). Ces jeunes gens qui fabriquent à la chaîne des vêtements dans des conditions très sommaires sont constamment rivés sur leur smartphone, comme connectés à un monde qui paraît lointain. Le contraste est saisissant – schéma présent également avec les jeux de séduction et les discussions légères au milieu des dortoirs décrépits. Alors pendant une grande partie de JEUNESSE, on ne peut détacher les yeux de l’écran.

Et puis quelque chose s’épuise. À force de passer d’une scène à l’autre, d’interchanger les protagonistes, le film semble n’avoir plus rien d’autre à raconter. Une forme d’effritement qui va à l’encontre de la beauté de son sujet. Cette caméra qui filmait les autres, les laissait vivre dans le cadre, s’y plaire ou s’en échapper, finit par ne filmer qu’elle-même. Le dispositif qui attrapait l’énergie de la jeunesse n’arrive pas à aller au-delà. Et les scènes de se répéter ad nauseam jusqu’à exclure du film, tant le système de l’auteur tout-puissant et son goût du tour de force prennent toute la place. Il n’y a plus de vie dans l’image mais uniquement Wang Bing et la recherche d’une forme de performance qui ne dit rien, ou trop peu, de celles et ceux qui ont été filmés.

De Wang Bing. Documentaire. Chine. 3h32. Prochainement

 

 

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