Cannes 2023 : L’ENLÈVEMENT / Critique

25-05-2023 - 11:54 - Par

Cannes 2023 : L’ENLÈVEMENT / Critique

De Marco Bellocchio. Sélection officielle, compétition

 

Steven Spielberg en a rêvé, Marco Bellocchio l’a fait et raconte avec un brio baroque l’histoire d’Edgardo Mortara.

Depuis AU NOM DU PÈRE jusqu’au SOURIRE DE MA MÈRE, en passant par LA BELLE ENDORMIE, le cinéma de Marco Bellocchio n’a jamais porté la religion catholique dans son cœur. À plus de 80 ans, le cinéaste continue d’exposer avec la même colère viscérale ses sentiments à l’égard du dogme et de ses dignitaires dans L’ENLÈVEMENT. L’histoire vraie, en 1858, du petit Edgardo Mortara, 6 ans, enfant d’une famille juive de Bologne qui, sous prétexte qu’il aurait été baptisé en secret à l’insu de ses parents, leur est arraché par le Vatican et le pape Pie IX – Steven Spielberg a longtemps eu pour projet de conter cette histoire, sur un script de Tony Kushner, avant de jeter l’éponge parce qu’il ne trouvait pas le jeune acteur adéquat. L’absurdité et la cruauté de la situation, Bellocchio la souligne par des dialogues tranchants, qui caractérisent la brutalité de l’Église, l’inflexibilité arrogante de ses représentants, leur froideur même, à mille lieues des supposés enseignements du Christ. « Votre fils est chrétien pour l’éternité, il est inutile de discuter », assure un prêtre au père Mortara, avant d’ajouter la condition du retour d’Edgardo chez lui, auprès de sa famille : que celle-ci se convertisse. L’absolutisme de l’Église catholique jaillit de l’écran dans une foule de moments pertinents, subtils ou plus soulignés, mais toujours amenés avec soin dans la dramaturgie ; son mépris des autres religions et particulièrement du judaïsme (associé à un « esprit impur »), son déni hypocrite (« Il ne s’est rien passé », rabâche un prêtre), son délire de puissance et sa volonté d’écraser les êtres sous le poids de la culpabilité (« Voici Jésus, dit-on à Edgardo devant une statue du Christ crucifié. Il était Juif comme toi. Et a été baptisé, comme toi. Il a été tué par les Juifs. »). Et, bien sûr, son conservatisme : « Le progrès mène le monde à sa perte », regrette Pie IX. La puissance de L’ENLÈVEMENT réside dans le traitement que lui insuffle Bellocchio. Quand il se saisit du point de vue d’Edgardo, l’histoire revêt des atours de contes de fées morbides, avec ses décors effrayants de couvent mal éclairé, de chapelles dénuées de fenêtres, comme des prisons hermétiques. La photo de Francesco Di Giacomo, tout comme la musique de Fabio Massimo Capogrosso, splendides, embrassent la colère de Bellocchio, la peur d’Edgardo et le chagrin de ses parents pour bâtir une cathédrale opératique au baroque assumé. Émergent de ce cri de rage d’immenses moments de cinéma – Edgardo qui escalade un crucifix ; son père qui hurle sa peine dans un tribunal vide –, jusqu’à un dernier acte et un dernier plan, bouleversant, où Bellocchio regarde avec amertume tout ce qui a été volé, imposé et accepté de force.

De Marco Bellocchio. Avec Enea Sala, Paolo Pierobon, Fausto Russo Alesi. Italie. 2h15. En salles le 25 octobre

 

 
 

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