Cannes 2023 : LA CHIMERA / Critique

27-05-2023 - 16:16 - Par

Cannes 2023 : LA CHIMERA / Critique

D’Alice Rohrwacher. Sélection officielle, compétition

 

Concluant la trilogie sur le passé de la réalisatrice italienne Alice Rohrwacher, LA CHIMERA succède aux MERVEILLES et à HEUREUX COMME LAZZARO et les surpasse de loin.

Plus narratif que ses deux prédécesseurs, plus romanesque aussi, LA CHIMERA, troisième film de la trilogie du passé par Alice Rohrwacher, nous entraîne aux côtés d’une bande de Tombaroli, des pilleurs de tombes étrusques qui volent les morts de leur trousseau funéraire. Arthur (Josh O’Connor) est un Anglais, installé dans une ville du bord de la mer Tyrrhénienne. C’est un de ses songes qui ouvre le film : le visage de Beniamina, sa petite amie, belle à graver sur une poterie. Il ouvre les yeux, réveillé en sursaut par le contrôleur du train : « vous ne saurez jamais comment ça se termine » dit-il. Arthur, fraîchement sorti de prison, ne vit que pour la retrouver, elle qui est n’est plus de ce monde. Et c’est vrai, ni lui, ni le spectateur ne peut se douter de comment la quête d’Arthur va se terminer, ni de la puissance romantique des derniers instants de LA CHIMERA, beaux à crever. Depuis qu’il a perdu Beniamina, Arthur semble comme coincé entre les morts et les vivants, les limbes souterraines et le paradis italien. Arthur a un don : il « sent le vide » laissé par les tombeaux étrusques. Chef de Tombaroli, il gagne sa vie en revendant le fruit des pillages à Spartaco, un gros trafiquant d’art. Mais l’argent ne l’intéresse pas. Il aime et chérit avec douleur la beauté, notamment celle des objets dont le regard des hommes est indigne. Celles des femmes aussi, comme Italia, mère de famille gaie et pieuse logée chez la mère de Beniamina (Isabella Rossellini), une professeure de chant. Cette dernière, diminuée, va bientôt être placée en maison médicalisée, sa demeure tombant en ruines et les derniers objets de valeur se voyant convoités par ses filles, pillardes qui ne disent pas leur nom. Qui est dépositaire du passé ?, interroge le film. À qui appartiennent les vestiges de l’Italie ? Cette gare, bien public décati, appartient-t-elle à tout le monde ou à personne ? Doit-elle dépérir seule ou vivre en étant squattée ? Alice Rohrwacher, dans une critique sévère du commerce à tout crin, s’engage contre la spéculation dont l’art fait l’objet. Qui peut estimer l’inestimable ?, semble-t-elle crier dans ce film en colère sourde. Mais ça, c’est le sens caché sous le film d’amour, au héros flamboyant. Josh O’Connor, dans un personnage taiseux mais tempétueux, le costard en lin sale et élimé, hante l’Italie pour en exhumer les trésors. Lui, l’acteur anglais au sex appeal imparable, la fossette fatale, la langue maîtrisée jusqu’au bout des doigts, donne au film d’Alice Rohrwacher des airs de lettre enflammée au cinéma italien, aussi parce qu’elle convoque tous les maîtres, de Visconti à Fellini. 35mm, Super 16mm et 16mm se succèdent et s’alternent, comme si seule la pellicule – un des marqueurs rohrwachiens – pouvait capter la beauté et la rareté de cet entre-deux-mondes coincé entre passé et présent.

D’Alice Rohrwacher. Avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabelle Rossellini. Italie. 2h10. En salles le 06.12.23

 

 

 

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