REALITY : chronique

16-08-2023 - 09:16 - Par

REALITY : chronique

La réalisatrice Tina Satter reconstitue les quelques heures étranges, anxiogènes et cruciales qui ont changé le destin de cette linguiste nommée Reality Winner. En passant de la réalité à la fiction, l’effet de contraste et d’aberration est sidérant.

 

Augusta, Georgie, juin 2017. En se garant devant chez elle, Reality Winner (Sydney Sweeney) constate qu’elle est attendue. Des hommes du FBI l’accueillent poliment. L’interrogent. La plupart du temps, c’est évident, ils ont déjà les réponses. Leur amabilité doit mettre la jeune femme à l’aise, mais cette manière de retarder le moment fatidique où elle sera forcément mise en accusation crée une tension intenable. À quoi bon faire la conversation quand l’issue est inévitable ? L’art de la discussion déplacée, incongrue, qui ira de la plus grande courtoisie à la plus perfide des insinuations, ce n’est pas à Tina Satter, la scénariste-réalisatrice, qu’on le doit mais au réel. Car REALITY est la mise en situation, la mise en image, la mise en scène d’une retranscription écrite et parfois caviardée d’une perquisition du FBI chez Reality Winner, bientôt coincée pour avoir volé des documents classés secret défense. Nous sommes sous Trump et cette femme frêle et menue, linguiste et quadrilingue – elle parle farsi, dari et pachtou en plus de l’anglais – a, va-t-on découvrir sur 80 minutes de thriller irrespirable, fait quelque chose qui a ouvert les yeux de son pays. Cette force politique sous les airs d’une petite Américaine typique, c’est aussi une alerte adressée aux puissants : en chaque citoyen se cache une idée du patriotisme et de la justice qui peut faire tomber un système. À l’écran, cet interrogatoire – qui cache hypocritement son nom – est ce que la fiction policière a pu générer de plus réaliste. Loin des joutes huilées et des réparties fatales dont on a l’habitude, le réel, lui, s’embarrasse de digressions, de silences gênés, de bégaiements, de maladresses, de remarques bêtes ou étranges. Alors que, même lorsqu’il se revendique réaliste, le cinéma américain harmonisera et manipulera toujours le temps pour représenter un idéal de situation – même dans le drame ou l’horreur –, ce petit film utilise le plus gros poncif du polar US – une perquisition du FBI – et nous rappelle sa nature profondément anti-cinématographique et anti-climactique, verbeuse et pas du tout physique, tout en décuplant l’angoisse et l’inconfort qui s’en dégagent. In fine, en le déspectacularisant, il le spectacularise autrement. Au-delà de la vérité des échanges et de la dimension quasi-documentaire de cette reconstitution, Tina Satter offre à son héroïne la possibilité de transcender son image unidimensionnelle de lanceuse d’alerte. En illustrant sporadiquement son témoignage, en choisissant parfois d’adopter son point de vue, elle dessine les contours de cette jeune femme pleine de contradictions, abritant de la douceur et de la rage, de la fragilité et de l’impulsivité, de l’ambition et du désir de sabordage. Déçue par la médiocrité de son pays, elle aura pourtant voulu agir pour son bien. C’est tout le paradoxe politique qu’encapsule Reality Winner : pour avoir tenté de sauver l’Amérique d’elle-même, elle sera accusée de haute trahison.

De Tina Satter. Avec Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchant Davis. États-Unis. 1h22. En salles le 16 août

Note : 4

 

 

 

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