ANATOMIE D’UNE CHUTE : chronique

22-08-2023 - 15:28 - Par

ANATOMIE D’UNE CHUTE : chronique

Film de procès, récit de famille et portrait d’une héroïne, ANATOMIE D’UNE CHUTE confirme l’hyper-talent de Justine Triet à transformer le désordre des vies en cinéma. Passionnant.

 

Dans ANATOMY OF A MURDER (AUTOPSIE D’UN MEURTRE en VF), Otto Preminger filmait en 1959 toutes les ambiguïtés de la vérité dans un immense film de procès qui faisait constamment valser les certitudes du spectateur. Le quatrième long-métrage de Justine Triet s’inscrit, dès son titre, dans ses pas. Mais la réalisatrice s’approprie le film de Preminger pour en livrer une version plus complexe, plus intime, plus trouble encore. Profondément contemporaine. Tout part d’un fait divers : un homme est retrouvé mort par son fils, malvoyant, en bas de son chalet de montagne. Suicide, accident, meurtre ? Très vite, Sandra, la mère, écrivaine, se retrouve inculpée. De quoi ? C’est tout le sujet passionnant du film. Car comme chez Preminger, il ne s’agit pas tant de juger que d’essayer de saisir une vérité humaine. Méticuleusement, de scène en scène, Justine Triet installe une tension, un doute qui rend son personnage féminin principal à la fois opaque, limite désagréable et soudain profondément vulnérable et touchant. Froideur pudique ou monstre d’égoïsme ? La composition de Sandra Hüller, immense actrice remarquée dans TONI ERDMAN, tient de l’équilibrisme vertigineux. Constamment, on oscille à côté d’elle à tenter de saisir qui elle est, ce qu’elle ressent, comprendre ses mots, ses gestes qui soudain semblent vouloir dire plus. On sait depuis LA BATAILLE DE SOLFERINO combien Justine Triet excelle à raconter les héroïnes, à donner corps à des personnages complexes. Ici, elle atteint une forme de perfection, une synthèse du réalisme de SOLFERINO, de l’émotion de VICTORIA et du vertige de SIBYL. Très simple sur le papier (le fait divers puis le procès), ANATOMIE D’UNE CHUTE ne cesse d’aller chercher de la nuance, de la complexité dans des petits accidents, des situations inattendues, des gestes de mise en scène qui déroutent, surprennent, et à chaque fois renvoient le spectateur à ce qu’il pense des personnages. Car au fond, le procès de cette affaire devient le procès d’une femme, d’un couple, d’une famille, un étalage public qui expose à nu l’intime, déballe ce qui était tu. Le film fouille dans les tiroirs de ce couple, dans leurs poubelles, à la recherche d’une certitude qui sans cesse s’échappe. À travers les yeux opaques de ce fils presque aveugle, témoin et victime collatérale, Justine Triet pose la question passionnante des ambiguïtés de la vérité et de la façon dont on ne peut simplifier une vie. Dans la lignée de LA NUIT DU 12 et de SAINT OMER, le film interroge par le biais du féminin le rôle de la justice – la façon dont on juge et dont on condamne dit quelque chose de notre regard sur le monde. Constamment sur le fil, tendu sur 2h30 comme un polar, mais profond comme une étude de caractère, magnifiquement mené par un casting parfait, ANATOMIE D’UNE CHUTE fait vivre aux spectateurs les vertiges de la justice, le désordre d’une vie.

De Justine Triet. Avec Milo Machado Graner, Sandra Hüller, Swann Arlaud. France. 2h30. En salles le 23 août

Note : 4

 

 

 

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