PAUVRES CRÉATURES : chronique

01-09-2023 - 18:56 - Par

PAUVRES CRÉATURES : chronique

Yórgos Lánthimos embarque Emma Stone dans une odyssée féministe : la rencontre entre Mary Shelley, Jane Austen et Valerie Solanas. Fou, furieux, et passionnant.

 

C’est un film dingue et monstrueux. Quoi de mieux pour parler d’aujourd’hui ? Adapté d’un obscur roman d’Alasdair Gray, pastiche de roman gothique écrit dans les années 1990, PAUVRES CRÉATURES devient entre les mains de Yórgos Lánthimos une expérience de cinéma déroutante, dérangeante et réjouissante. L’impression d’en prendre plein les yeux, d’être constamment bousculé, titillé, interrogé par l’odyssée de Bella Baxter, aristocrate revenue à la vie grâce à l’intervention d’un savant fou. À travers le parcours de ce personnage, femme ‘frankenstein-ienne’, Yórgos Lánthimos s’amuse à fabriquer un récit initiatique tordu qui, sans cesse, nous défie de le regarder. Femme enfant – littéralement –, Bella repart de zéro, réapprend le monde. Mais à l’image, ce corps de femme adulte habité par un esprit d’enfant provoque un malaise, une étrangeté qui devient le point de départ d’un film à la poésie énervée. Somptueux, profondément expressionniste et baroque, qu’il nous plonge dans un noir et blanc de film muet ou qu’il éclate d’un technicolor quasi surréaliste, PAUVRES CRÉATURES déplace le regard du spectateur.

On sait combien le réalisateur de THE LOBSTER et de CANINE est à l’aise dans le minimalisme grinçant. Mais là, au contraire, PAUVRES CRÉATURES est plein d’empathie, d’emphase, d’émotions qui débordent, comme si Lánthimos, pour la première fois, s’attachait à son personnage principal. Mélangeant le film de monstre et le récit romantique victorien, le film observe cette héroïne improbable dérouter le monde des hommes en filmant frontalement son émancipation sexuelle. Bella, femme rebootée, ne joue plus le jeu du patriarcat, elle trace sa route et prend petit à petit possession de son corps. Magnifiquement, PAUVRES CRÉATURES s’échappe avec elle, va loin, très loin, nous interroge parfois sur ce qu’on est vraiment en train de regarder, étreint la liberté de son personnage pour mieux nous interroger sur notre façon de la regarder et de la juger, tout ça avec une allégresse et une jouissance contagieuses. Un film comme un doigt d’honneur posé délicatement sur un clitoris.

Il fallait le génie d’une actrice comme Emma Stone pour oser cette composition folle, à la fois burlesque et émouvante. Échappant constamment à toute bienséance, elle offre à Bella une audace, une puissance folles. En face, on s’amuse de la déroute des hommes qui veulent la posséder. De Willem Dafoe en professeur fou père de substitution, à Mark Ruffalo, génial lord pathétique, jusqu’à Ramy Youssef, touchant en amoureux égaré, le film croque le patriarcat à coup de grotesque et de bizarre jusqu’à une dernière partie – terrifiante et tragique – où Lánthimos cesse de rire. Délicieusement énervé, le final enfonce le clou d’un film comme une révolution. Le regard est sans compromis. La proposition esthétique, radicale. Comme la petite sœur sombre, dérangée, dérangeante, et joyeusement en colère du BARBIE de Greta Gerwig.

De Yórgos Lánthimos. Avec Emma Stone, Willem Dafoe, Ramy Youssef… Grande-Bretagne / États-Unis. 2h21. En salles le 14 janvier

 

 

 

 

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