MUDBOUND : chronique

16-11-2017 - 21:56 - Par

MUDBOUND : chronique

La modernité d’un regard infusé dans du grand cinéma classique : Dee Rees manie parfaitement l’Americana. Impressionnant.

Henry McAllan (Jason Clarke) emmène père (Jonathan Banks), femme (Carey Mulligan) et enfants vivre dans le delta du Mississippi où il s’est acheté du terrain, loin du confort de la ville. Les Jackson, Florence (Mary J. Blige) et Hap (Rob Morgan), sont métayers sur le domaine. Nous sommes dans les années 40 et les McAllan sont des purs produits de leur époque, ancrés dans un racisme systémique et arrogants face à la nature. Quand le fils Jackson, Ronsel (Jason Mitchell), et le frère McAllan, Jamie (Garrett Hedlund), reviennent de la guerre, leur amitié naissante bouleverse la « hiérarchie sociale et raciale » dans laquelle les Blancs du sud des États-Unis se sont confortablement installés. Parce que la réalisatrice Dee Rees infuse dès le départ un air de tragédie rurale, aucune raison que l’histoire tourne bien. Ou plutôt, les histoires – amicales, sentimentales, familiales ou amoureuses. L’idée est maline de s’approprier le grand roman américain mais de le court-circuiter et ainsi de le moderniser avec la diversité de points de vue dont il a souvent cruellement manqué. Répartition entre les deux familles des voix off, du temps d’écran, de la dramaturgie… MUDBOUND est riche de sa volonté de cartographier les rapports humains, raciaux et sexuels post Seconde Guerre mondiale. Impossible de ne pas y voir un décryptage de notre époque et des rapports violents entre Blancs et Afro-Américains dans des États-Unis en proie à la résurgence néo- nazie. Quand Ronsel rentre du front, aucun fait d’arme, aucune preuve d’héroïsme ne peut faire oublier sa peau noire et ce, même si les rudes conditions de vie ou le difficile travail agricole pourraient justement créer un seul et même peuple rural, un seul et même peuple américain. Quotidien, simple, digne, MUDBOUND dépeint avec une colère froide la domination masculine et blanche sur l’Amérique et les ravages physiques et intellectuels qu’elle provoque. Monté avec élégance et sagacité, le film prend le cinéma par son versant le plus politique. Et quel cinéma ! Savamment distribué – personne ne joue mieux l’Amérique profonde que l’Australien Jason Clarke et Garrett Hedlund charrie à lui seul tout un imaginaire romanesque –, parfaitement mis en scène, opéré et éclairé avec un sens de l’épique et un amour des grands classiques qui crèvent l’écran, MUDBOUND s’affiche comme l’héritier naturel de la splendeur fordienne et de l’universalité de Faulkner. Rachel Morrison, la directrice de la photographie, a fabriqué un écrin majestueux à ce grand drame terriblement intemporel. C’est tout le propos du film : comment un si beau pays peut-il être habité par autant de haine ?

De Dee Rees. Avec Jason Mitchell, Garrett Hedlund, Mary J. Blige. États-Unis. 2h14. Sur Netflix le 17 novembre

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