LE TIGRE BLANC : chronique

22-01-2021 - 14:18 - Par

LE TIGRE BLANC : chronique

Une réflexion sur le déterminisme aux atours de conte moral. L’acteur indien Adarsh Gourav est une révélation.

 

Balram (Adarsh Gourav) a faim de réussite. C’est une rage qui brûle au fond de lui depuis que son père est mort d’avoir été mal soigné et que sa scolarité prometteuse a été sacrifiée sur l’autel du travail. Il aurait fallu qu’il vive accroupi toute sa vie, qu’il épouse celle que sa grand-mère despotique avait choisie pour lui. Il aurait fallu qu’il gagne petit, comme tous les paysans les plus pauvres du pays. Balram avait d’autres plans : devenir le chauffeur d’Ashok (Rajkummar Rao), héritier d’une grande famille revenu des États-Unis avec une femme brillante (Priyanka Chopra-Jones) et l’envie de développer internet en Asie. Ensuite, Balram a sauté sur toutes les opportunités de s’élever, malgré une détestation de cette Inde archaïque et mal éduquée qu’il représente. Il est un parangon de réussite, comme « The Great Socialist », cette femme politique puissante qu’il admire, et accessoirement… modèle de corruption.

LE TIGRE BLANC débute au son de la voix off de Balram, s’adressant au Premier Ministre chinois en visite. Homme d’affaires redoutable, Balram vante son pays, terre de toutes les opportunités. Les ambitions des pays émergents vont bientôt écraser la léthargique Amérique, les oppressés prendront la place des oppresseurs, l’individualisme prévaudra sur la justice sociale. Balram est un visionnaire. Comment a-t-il transcendé la fange de Dhanbad ? Ramin Bahrani va nous raconter ce parcours tout sauf exemplaire. Il va suivre Adarsh Gourav, formidable révélation, dans une performance prodigieuse, d’abord voûté sous le poids de la soumission, le rictus de l’obéissance rivé aux lèvres, puis beaucoup plus inquiétant, incarnant tout entier un homme qu’on a poussé à bout. L’idée de ce TIGRE BLANC, c’est de jeter un type intelligent dans les circonstances extrêmes d’un pays qui succombe à l’ultra-libéralisme, et de noter le résultat. L’expérience – qui a d’abord été un best-seller signé Aravind Adiga – est audacieuse, la démonstration de Ramin Bahrani (qui de CHOP SHOP à 99 HOMES a souvent soumis ses personnages à la pression de l’argent) est implacable. C’est une fatalité, inexorable, qui opère sous nos yeux. La misère morale que Bahrani dépeint n’est pas l’apanage de l’Inde, organisée en castes. Toutes les sociétés sont ainsi hiérarchisées, qu’elles le revendiquent ou non. Lorsqu’une réplique lapidaire rappelle que la vie d’un indigent n’a pas de valeur en Inde, lorsque la richesse protège de la prison, c’est tout le système libéral que Bahrani éreinte. D’aucuns diraient que le réalisateur Anurag Kashyap (GANGS OF WASSEYPUR, SOMBRE FORTUNE…) en a fait une carrière – par le biais du cinéma de genre. Mais si l’esthétique et le ton du TIGRE BLANC flirtent parfois avec ceux du « Scorsese indien », Bahrani choisit la voie du divertissement, certes brutal, mais mainstream pour faire passer le message.

De Ramin Bahrani. Avec Adarsh Gourav, Rajkummar Rao, Priyanka Chopra. États-Unis / Inde. 2h05. Le 22 janvier sur Netflix

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