Cannes 2021 : LE GENOU D’AHED / Critique

08-07-2021 - 12:43 - Par

Cannes 2021 : LE GENOU D’AHED / Critique

De Nadav Lapid. Sélection officielle, Compétition.

 

Après l’exigeant SYNONYMES, Nadav Lapid revient plus radical et en colère que jamais. Déroutant mais plein de cinéma.

Nadav Lapid fait du cinéma comme on part à l’attaque. Après L’INSTITUTRICE et LE POLICIER, le voici qu’avec le GENOU D’AHED, il complète en quelque sorte sa panoplie par « le Cinéaste ». Un film forcément personnel et intime donc mais surtout – et c’est sa grande force – un film de rage avec l’envie très forte d’en découdre. S’ouvrant sur carton blanc choc avec le titre en gros plan, le film s’impose dès sa première scène comme une expérience radicale de cinéma. Sur l’écran défile un paysage flou avec petit à petit l’impression que l’image pleure. Des larmes qui se révèlent être de la pluie, un corps qui zigzague entre les voitures sur une route, une moto qui file comme un point jusqu’à l’abstraction. La vitesse, la rage, les larmes, la ville, tout est là. Lapid va construire son film comme une diatribe, une satire mélancolique et rageuse avec au centre un anti-héros, cinéaste blessé et aigre face à une société israélienne qu’il méprise.

Déroutant, LE GENOU D’AHED s’ingénie constamment à fabriquer du cinéma, à rappeler au spectateur sa position d’observateur privilégié par une caméra virevoltante qui pourrait bien se moquer de nous. Lapid balance la caméra, la secoue, la jette en l’air et notre œil de partir à la renverse avec lui. Cinéaste formaliste, Lapid lorgne même parfois ici du côté du clip, filmant la musique comme une échappée tantôt vers le beau (belle scène brute et onirique sur « Be my Baby » de Vanessa Paradis) tantôt la laideur (des militaires qui dansent jusqu’à devenir des animaux). LE GENOU D’AHED – titre potentiel d’un film en colère que prépare le personnage cinéaste – multiplie les fausses pistes, les décrochages visuels, les apartés ironiques, les regards torves pour constamment heurter le spectateur et le mettre dans un état de malaise et de sidération. Cheminant petit à petit vers une rage grandiloquente assez sidérante (la diatribe contre Israël est un moment fort et devrait faire parler), le film nous place dans l’état du personnage mais surtout de Lapid lui-même. Le film fait corps avec son auteur, l’image, les acteurs, le décor (désertique et aride) devient comme l’état d’âme de son créateur. LE GENOU D’AHED est un film de deuil – deuil d’une mère, deuil d’une liberté, deuil d’un pays que l’on hait – et donc forcément un film de colère.

L’effet est puissant, déroutant bien sûr, mais constamment bardé d’images de cinéma, de moments stupéfiants et inquiétants (tout le récit dans le récit autour de la soumission à l’Etat à travers le parcours de deux jeunes soldats et la perversité qui s’en suit est d’une force inconfortable rare) qui semblent toujours jetés directement à la tête du spectateur par cette mise en scène affranchie de tout. Dans la lignée des grands films politiques et en colère de R.W Fassbinder (LA QUATRIÈME GÉNÉRATION, L’ALLEMAGNE EN AUTOMNE), Nadav Lapid compose un film mal-aimable, dense et parfois peut-être un peu obscur, très impudique peut-être aussi. Mais il est aussi et surtout la preuve passionnante qu’une caméra permet de raconter le monde comme on le vit au plus profond de soi. Du cinéma comme un point de vue, une image du monde.

De Nadav Lapid. Avec Avshalom Pollack, Nur Fibak. Israël. 1h40. En salles le 15 septembre

 

 

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