Cannes 2021 : JULIE (EN 12 CHAPITRES) / Critique

09-07-2021 - 17:40 - Par

Cannes 2021 : JULIE (EN 12 CHAPITRES) / Critique

De Joachim Trier. Sélection officielle, Compétition.

 

Avec l’élégance qu’on lui connaît – mais avec cette fois-ci l’humour en plus – Joachim Trier compose une étonnante comédie, à la fois satirique, romantique et hyper mélancolique. L’air de rien, un grand film.

Rebaptisé en français JULIE (EN 12 CHAPITRES), le nouveau film de Joachim Trier (et Eskil Vogt son scénariste) s’intitule en version originale « La pire personne du monde ». Deux titres pour un même film qu’on verrait bien fusionner tant ils racontent déjà tout de la beauté très contemporaine de ce film sur l’air du temps. D’un côté la fragmentation et le romanesque, le désir d’être plusieurs, pas forcément bien ramassé, bien calibré, bien logique aussi. Vivre tout et son contraire. 12 chapitres comme autant de morceaux de Julie, héroïne insaisissable qui ne veut pas être saisie. De l’autre, cette inquiétude d’être « la pire personne au monde », se dire qu’on ne rentre pas dans les cases, qu’on est peut-être un enfant gâté à vouloir tout et son contraire, à ne pas être heureux alors que tout nous dit qu’on devrait l’être. Tout gâcher, peut-être.

Un double mouvement comme une élancée inquiète, une course contre soi-même, qui donne tout son élan et beauté à ce film. C’est comme si Trier et Vogt avaient digéré le meilleur de la comédie de mœurs contemporaine, FLEABAG en tête, et en formulait une version cinéma d’auteur. Mélangeant avec jubilation le cru et l’intime, le politique et les sentiments, ils composent une odyssée amoureuse tour à tour méchante, sexy et touchante. Du cinéma alerte et généreux qui, dans les pas indécis de Julie (Renate Reinsve, géniale) raconte les terreurs de l’époque (la fameuse « cancel culture », la bascule des générations, la crise écologique), les injonctions stériles (la maternité comme accomplissement d’une femme) sans pour autant jamais être totalement certain d’avoir des réponses. Et c’est toute la force et le charme immédiat du film. Une héroïne qui doute, un film qui ne sait pas, qui essaie et surtout qui se demande comment se sortir de tout ça sans faire trop de dégâts, à soi mais surtout aux autres. Car et c’est la belle surprise du film, JULIE (EN 12 CHAPITRES) est avant tout une comédie romantique. Un film sur le couple (le garçon est campé par Anders Danielsen Lie, toujours parfait), le rapport à soi avec l’autre, dans l’autre, comment on peut s’y perdre ou s’y retrouver. D’abord radiographie charmante et vacharde (le premier chapitre, tordant, sur les vacances en couple et les enfants des autres), le film mute très vite vers une autre romance (le deuxième chapitre, infidélité, est à lui seule une merveille, à la fois sexy et drôle. Un sommet de romantisme en sueur) pour petit à petit arriver au cœur de son sujet : essayer peut-être de s’aimer soi. Magnifiquement, Trier et Vogt opèrent une bascule centrale dans une scène onirique sublime – métaphore littérale de l’envie de mettre le monde en pause pour penser à soi – et détricote la romance vers une seconde partie nettement plus mélancolique. L’amour après le grand amour.

Alors, le film de renverser petit à petit le point de vue. Julie, inquiète de n’être que la figurante de sa vie, s’épuise comme héroïne. Délicatement, le film la transforme en observatrice et c’est là, dans les mots, dans les regards, les attentions que soudain elle prend le temps d’entendre, ces temps vides qui l’inquiétaient tant, que le film l’apaise. Zigzaguant entre les tonalités, merveilleusement écrit, JULIE (EN 12 CHAPITRES) nous tend en fait un miroir pour nous apprendre à travers ces personnages, à regarder l’autre comme soi. À tolérer ses failles comme les nôtres, à aimer être tout et son contraire. Heureux, après coup. Malgré tout. Un grand film.

De Joachim Trier. Avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum. Norvège. 2h01. En salles le 13 octobre

 

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