Cannes 2021 : THE FRENCH DISPATCH / Critique

13-07-2021 - 17:46 - Par

Cannes 2021 : THE FRENCH DISPATCH / Critique

De Wes Anderson. Sélection officielle, Compétition.

 

Wes Anderson plus Wes Anderson que jamais dans un faux film à sketches au casting all star. Son moins bon film et pourtant son plus intéressant théoriquement.

Avoir un style fort, ça aide à être reconnu comme un auteur. Mais quand le nom devient le style, que reste-t-il du créateur ? C’est un peu tout le souci de Wes Anderson et de son cinéma. Cinéaste au minimalisme joyeux et mélancolique, le réalisateur de MOONRISE KINGDOM est devenu une marque avec ses cadres dans le cadre, sa géométrie et ses personnages à la Salinger. Et forcément, au bout d’un moment, la surprise s’émousse. Se réinventer quitte à déplaire ou assurer le service minimum ? THE FRENCH DISPATCH hésite.

Au départ, on se réjouit. Le film s’ouvre sur un plan de rotatives en mouvement dont on ne sait s’il est en prise de vue réelle ou en animation. Composé de plusieurs récits juxtaposés, le film se présente comme la lecture d’un exemplaire du « French Dispatch », magazine américain confectionné en France. De l’édito à l’ours en passant par les conseils touristiques, les histoires défilent comme on tournerait les pages. Une idée merveilleuse, la synthèse parfaite du style Anderson, la sophistication jusqu’au leurre, du cinéma littéraire en mouvement où l’œil qui lit devient l’œil qui regarde l’écran. Si le cinéma d’Anderson a toujours eu recours au plan tableau, ceux de FRENCH DISPATCH sont donc aussi parcourus d’un mouvement horizontal ou vertical constant qui reproduit inconsciemment le sentiment de lecture. C’est déroutant, très ludique, et évidemment d’une beauté formelle stupéfiante. L’écran comme une page où acteurs, décors et récits ne sont que des instantanés voués à être vus/lus et qui ne prennent sens que dans la continuité. Constamment, Anderson joue du mouvement dans le plan, du travelling qui compose et décompose, de l’ouverture constante du cadre vers l’extérieur. La force généralement centripète de ses films devient ici centrifuge. Le cinéaste contrit et contraint, qui avait fait de la miniature et du désir de mouvement de ses personnages le cœur battant de sa mélancolie, libère ou relâche quelque chose et c’est beau à voir.

Mais, hélas, le revers de cette émancipation expérimentale est que le style Anderson perd alors de son émotion. Ces cadres qui contraignaient les personnages, ces couleurs criardes qui contrastaient avec leur mélancolie disaient tout d’eux, nous les rendaient humains. Ici, les trois histoires présentées en quasi noir et blanc peinent à créer de la vie. Hommage à la France – et à la culture française, entre clichés et ironie –, THE FRENCH DISPATCH, en devenant ce cinéma littéraire en mouvement, ne fait plus qu’exhiber la référence (de Jacques Tati à Clouzot, en passant par Max Linder ou Godard). Le récit n’est plus qu’un clin d’œil, historique ou culturel (la naissance des avant-gardes artistiques françaises dans le meilleur segment, avec du grand Benicio Del Toro et Léa Seydoux /  Mai 68 dans le second, avec de beaux moments mais un Chalamet tout en surjeu / la sacro-sainte gastronomie pour le troisième segment, le plus faible, hommage au réalisme poétique et le plus référencé) où apparaissent des stars en cascade qui n’incarnent plus qu’elles-mêmes (avec des perruques).

D’habitude élégant et tout en virtuosité, le cinéma d’Anderson est ici étrangement tout en force. Comme si la quintessence de son style, qui rend le film particulièrement splendide esthétiquement, en faisait apparaître aussi toutes les limites. Peut-être que THE FRENCH DISPATCH aurait mérité d’aller au bout de son procédé. Tout comme on ne lit jamais (ou rarement) un journal dans son intégralité, le film aurait dû trouver un moyen de laisser le spectateur vagabonder dans sa lecture en devenant, pourquoi pas une succession de formats différents (série TV ou autres). On aurait alors peut-être pu mieux apprécier, mieux digérer le festin qu’est THE FRENCH DISPATCH, son raffinement littéraire « à la française » et son goût délicat si français pour les révolutions.

De Wes Anderson. Avec Léa Seydoux, Benicio Del Toro, Timothée Chalamet, Frances McDormand, Jeffrey Wright. États-Unis. 1h43. En salles le 27 octobre

 

 

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