Cannes 2021 : UN HÉROS / Critique

14-07-2021 - 08:36 - Par

Cannes 2021 : UN HÉROS / Critique

De Asghar Farhadi. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Rahim est en prison à cause d’une dette qu’il n’a pas pu rembourser. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu…

 

Après quelques égarements européens, Asghar Farhadi revient au meilleur de sa mécanique de précision. Un grand film tendu et très maîtrisé sur la morale et ce qu’on en fait. Brillant et pertinent.

Asghar Farhadi a imposé depuis quelques années son cinéma tendu et intime. UNE SÉPARATION, À PROPOS D’ELLY, LA FÊTE DU FEU… : des films au naturalisme trompeur, des bombes à retardement qui placent personnages et spectateurs dans des impasses morales, des zones de turbulences sociales et politiques passionnantes. Il y a quelque chose d’Hitchcock dans ce cinéma du détail, sa façon de toujours tendre le récit vers une noirceur souterraine. Quelque chose de l’ordre de la banalité de l’immoral. Avec UN HÉROS, il glisse subtilement d’Hitch à Capra avec brio.

Fable morale sur la morale, le film se déploie devant nous avec une élégance et une précision redoutable. Rahim est en prison pour n’avoir pas honoré ses dettes. Dans une ouverture très symbolique, on le suit montant longuement et lentement les marches d’un échafaudage interminable. Une montée métaphorique vers les cieux qui se conclue par une lente redescente immédiate. Et Farhadi de donner le programme. Nébuleux d’abord, le film nous permet de nous attacher à ce Rahim – homme blessé, père d’un enfant bègue – et sa compagne secrète, une orthophoniste. Le film tisse une intrigue (Rahim va chercher à rembourser sa dette, grâce à des pièces d’or trouvées dans un sac à main égaré) pour mieux soudain la détricoter avec ironie. Par un concours de circonstances, Rahim rend le sac à la femme qui l’avait perdu. Un geste bon, un geste moral qui devient un phénomène et lui apporte peut-être plus qu’il ne l’aurait souhaité. Farhadi tire alors vers la satire en nous tendant, par le biais de sa fable noire, un miroir très juste. Et surtout très actuel.

Car derrière ce « Héros », c’est bien toute la versatilité de la morale, la façon dont elle se fabrique, s’aveugle ou s’obstine, porte aux nues ou détruit, que raconte Farhadi. Son personnage, pris dans un engrenage médiatique, a quelque chose des grands héros du cinéma de Capra. Un homme sans qualité pris au cœur des rouages de la société. Un héros malgré lui, malgré tout à travers le regard duquel on se sent, nous, regardés. Dans le lent (et parfois un poil redondant) processus par lequel Rahim va tenter de justifier son acte, de démêler le vrai du faux, Farhadi raconte quelque chose d’un monde de la post-vérité, où la morale est une arme à double tranchant. Ce léger décalage – entre la satire et une forme d’absurdité – permet au cinéaste de rallumer la flamme de la mécanique (trop ?) parfaite de son cinéma (tension, but à atteindre, résolution compliquée, nouveau but etc…). Surtout, pour la première fois peut-être, la société iranienne et son hypocrisie (entre tradition et domination masculine) renvoient directement et frontalement à l’époque. L’effet est troublant, passionnant et prouve combien le cinéma de Farhadi a quelque chose de profondément universel. Le parcours cruel de ce héros malgré lui, jusqu’à sa conclusion amère, n’est pas le film à thèse d’une société étrangère que l’on regarderait de loin. Mais bien le portrait d’un monde, le nôtre.

De Asghar Farhadi. Avec Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Fereshteh Sadre Orafaee. Iran. 2h07. En salles le 22 décembre

 

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