CLAIR-OBSCUR : chronique

09-11-2021 - 17:45 - Par

CLAIR-OBSCUR : chronique

Rebecca Hall passe derrière la caméra et se réapproprie avec élégance un roman paru il y a près d’un siècle. Impressionnant.

 

Le roman de Nella Larsen, « Passing », a permis à Rebecca Hall de mettre des mots sur un tabou familial. L’histoire est celle d’Irene (Tessa Thompson) et Clare (Ruth Negga), deux amies afro-américaines à la peau si claire qu’elles peuvent passer pour blanches dans l’Amérique très ségréguée d’entre-deux-guerres. La première le fait occasionnellement, la seconde, c’est au quotidien, puisqu’elle s’est mariée avec un homme qui « déteste les Noirs ». « Passer pour blanc », traduction en français du terme « passing », c’est ce qu’a fait le grand-père afro-américain de Rebecca Hall, qui en fiction essaie de comprendre ce lourd héritage. Dans son film, les deux personnages sont en conflit avec leur identité. Clare a un rapport changeant à sa couleur de peau : elle lui permet d’intégrer la haute bourgeoisie blanche mais aussi de cultiver un sentiment d’appartenance et une authenticité auprès des Noirs des classes aisées d’Harlem ; Irene, elle, « passe » pour des raisons sporadiques et pratiques, est un membre actif de sa communauté mais ment à d’autres égards. Sa classe, sa sexualité, sa politique, tout ça est très ambigu chez elle, qui semble admirer autant que redouter la liberté de Clare. Dans l’équation, son mari (joué par André Holland), conscient du racisme systémique de l’Amérique, incarne le rapport problématique qu’elle entretient avec Clare : selon elle, son époux, d’abord dégoûté de la malhonnêteté de cette amie, la désirerait en secret, se transformant alors en rival. Dans CLAIR-OBSCUR, les personnages renvoient à toutes les nuances de la culpabilité ou de la fierté qu’on peut ressentir face à son rang social, son identité raciale, ses pulsions sexuelles. En cela, le travail sociologique et émotionnel entrepris par Rebecca Hall est colossal, très contemporain et d’autant plus admirable qu’il est profondément intime. La forme soutient le fond : son Noir & Blanc arbore des noirs très denses dans un Harlem cossu et florissant, des blancs nets ou aveuglants dès qu’on pénètre des territoires ségrégués de New York. D’aucuns diraient que l’illustration reste coincée au premier degré mais l’effet de cinéma fonctionne à plein, plongeant le spectateur dans un univers où il faudrait choisir son camp et où finalement, tout l’intérêt réside plutôt dans les zones de gris. Un format d’image resserré, en 1:33 figure de l’enfermement des deux jeunes femmes dans les conventions, les privant d’un espace de liberté totale. La mise en scène, jamais ostentatoire, est humble, au service de l’histoire et des émotions. La fragilité de Tessa Thompson – peut-être un peu empruntée – et la force de Ruth Negga, parfois utilisées en trompe-l’œil, sont de bonnes idées de direction d’acteur et viennent parachever l’implacable tragédie humaine orchestrée par Rebecca Hall.

De Rebecca Hall. Avec Tessa Thompson, Ruth Negga, André Holland. États-Unis. 1h38. Sur Netflix le 10 novembre

4Etoiles

 

 

 

 

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