Cannes 2022 : THE STRANGER / Critique

20-05-2022 - 19:00 - Par

Cannes 2022 : THE STRANGER / Critique

De Thomas M. Wright. Sélection officielle, Un Certain Regard

 

Un polar d’une noirceur profonde qui laisse sans souffle, sans voix et impressionné. Le nouveau bijou venu d’Australie.

Vous connaissez peut-être l’acteur Thomas W. Wright, sa voix grave, son air renfrogné. THE BRIDGE version US, TOP OF THE LAKE, EVEREST… Après un premier long toujours inédit chez nous (ACUTE MISFORTUNE), il s’impose comme un auteur-réalisateur à prendre très au sérieux. Trop au sérieux, peut-être, tant son deuxième film, THE STRANGER est d’un solennel éprouvant. Avec ses noirs charbonneux, ses nuits profondes, ses intérieurs tamisés, les barbes et les cheveux longs qui masquent le blanc de la peau, THE STRANGER se cache à toute lumière. Normal. D’abord, c’est un polar. Masculin, australien, viril. Le héros – puisqu’il y en a un – a un credo, presque méditatif : « respire l’air pur et expire l’air sale », histoire de rejeter dans l’atmosphère la pollution de l’âme. L’Australie de Thomas M. Wright semble étouffer sous les nuages gris sortis des poumons d’un homme : Henry.

Henry, c’est Sean Harris, le meilleur acteur que l’Angleterre ait porté ces quinze dernières années. On le rencontre barbu, chevelu, asthmatique et solitaire dans un bus de nuit direction l’Australie occidentale. Il est abordé par Paul (Steve Mouzakis), qui va l’introduire dans un réseau de malfrats. Henry est en probation, il faudra faire attention. Arrivés à destination, Henry et Paul rejoignent Mark (Joel Edgerton). Paul n’est plus en odeur de sainteté au sein de l’organisation mais Henry pourrait bien le remplacer. Mark prend Henry sous son aile, Henry aime bien Mark. THE STRANGER se dérobe souvent dans l’ombre par son genre cinématographique mais aussi par son intrigue. Là, l’exercice critique devient périlleux si l’on veut maintenir le futur spectateur dans la même ignorance qui a rendu notre expérience si forte. L’un des intérêts de THE STRANGER est qu’il se dévoile et se déploie avec des points de bascule, des révélations, des twists jamais spectaculaires, jamais traités comme tels. Ils sont atones, comme soufflés au spectateur. Alors qu’en parallèle, se raconte l’enquête sur un fait divers sordide, des ponts se créent par l’image et les méandres d’un récit sinueux et noueux font place sur le tard à un récit limpide et malin.

Alors pour ne pas déflorer le plaisir de l’histoire, on évoquera plutôt la mise en scène pesante et précise de Thomas M. Wright, novice qui rappellera aisément le David Michôd d’ANIMAL KINGDOM – dans lequel, déjà, brillait Joel Edgerton. Le mal et le double jeu sont partout dans son univers taiseux. Captivant dans ce qu’il filme des pensées insondables de ses acteurs – il laisse souvent sa caméra s’attarder sur les visages songeurs d’Edgerton et de Harris –, il crée beaucoup de bizarre, notamment parce que les personnages de sa troupe ont un côté pile austère et menaçant quand ils sont ensemble, et un côté face plus charnel et digne d’intérêt une fois leurs oripeaux de bandits au vestiaire. Là est la grande friction du film – comme dans ANIMAL KINGDOM, la vie de famille ne cessait de nourrir la criminalité. Il faut voir Henry se dandiner en musique, après une journée de boulot, devant Mark irrité et bouillant pour comprendre l’abysse de tension dans laquelle plonge Thomas M. Wright. Ça nous retourne d’autant plus les entrailles que tout ça, c’est évidemment une histoire vraie.

De Thomas M. Wright. Avec Sean Harris, Joel Edgerton, Ewen Leslie. Australie. 1h57. Prochainement

 

 

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