L’ÎLE ROUGE : chronique

31-05-2023 - 17:51 - Par

L’ÎLE ROUGE : chronique

Six ans après le puissant 120 BPM, Robin Campillo raconte la France coloniale des années 1970 à travers le regard d’un petit garçon. D’une beauté et d’une intelligence, émotionnelle et politique, rares.

 

Comme très souvent les grands films, L’ÎLE ROUGE est l’histoire d’un regard. Un double regard, même. Et c’est toute l’étrangeté et la beauté – à la fois sensorielle et politique – de ce film « d’époque » profondément contemporain. Être à la fois une chose et l’autre, provoquer dans le même plan deux émotions contraires pour qu’elles dialoguent en nous. Portrait de la France coloniale des années 1970 (ici la vie d’une famille française installée dans une caserne à Madagascar), L’ÎLE ROUGE est donc tout en même temps un film très personnel et un film très politique, un reconstitution précise et un pur geste de fiction, un film à hauteur d’enfant et une œuvre d’adulte. Ce regard d’abord, c’est celui de Thomas, dernier né de cette famille – et double fictionnel de Robin Campillo, fils lui aussi de militaire ayant grandi à Madagascar – qui regarde du haut de ses 8 ans le monde avec un mélange de curiosité et de peur. Il observe les parades amoureuses, les contrariétés, la grandeur des adultes, leurs grands mots. Mais ce regard est aussi celui de Robin Campillo cinéaste qui filme le passé avec son regard d’aujourd’hui et capte par une mise en scène d’une redoutable intelligence tous les nons-dits d’une famille, tous les refoulés du colonialisme. Dans un même geste, chaque plan porte à la fois le mystère, l’inquiétude de l’enfance et l’acuité politique, presque désabusée, de l’adulte. Une sorte de « Temps Retrouvé » qui capturerait l’insouciance d’hier et la conscience d’aujourd’hui dans un même espace. Une scène de fête où la gaieté des convives porte en elle toute la violence des maris, des gestes de dominations, des phrases, des attitudes, des images (ces parachutes qui tombent dans le ciel) que Campillo filme, aidé de ses formidables interprètes, toujours à la lisière. C’est toute la force et la beauté de cette ÎLE ROUGE. Par l’effet que produit ce double regard, le politique et la vie se mêlent et les personnages n’en sont alors que plus vivants, les situations plus complexes. Dans la lignée de THE FABELMANS de Steven Spielberg, Robin Campillo navigue entre intime et romanesque à la recherche d’un entre-deux, comme si la fiction, le cinéma pouvaient permettre de voir ce qui n’avait pas été vu. Filant dans de magnifiques séquences la métaphore de Fantômette, héroïne de l’enfance qui fait tomber les masques des adultes, Campillo interroge la violence et la domination propre au colonialisme et au patriarcat jusqu’à une dernière partie, puissante et symbolique, qui donne enfin la parole à celles et ceux que ce monde d’avant écrasait. Aussi beau qu’intelligent : du grand cinéma. 

De Robin Campillo. Avec Nadia Tereskewicz, Quim Gutierrez, Charlie Vauselle. France. 1h57. En salles le 31 mai 

Note : 5

 

 

 

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