Cannes 2021 : HAUT ET FORT / Critique

16-07-2021 - 08:00 - Par

Cannes 2021 : HAUT ET FORT / Critique

De Nabil Ayouch. Sélection officielle, Compétition.

 

Tout en gardant l’exigence de son cinéma, Nabil Ayouch surprend et enchante avec un film musical politique, inspiré et inspirant. Joyeux et puissant à la fois.

Depuis ALI ZAOUA (2000), le cinéma de Nabil Ayouch cherche un entre-deux passionnant entre le spontané et le romanesque. Du cinéma de héros, imbibé de l’état du monde, quelque part entre la fiction et le documentaire. Et HAUT ET FORT s’ouvre sur un plan iconique de héros. Un homme, taciturne, entre dans une ville, l’air déterminé. Très vite, la caméra lui offre une stature, un charisme qui va porter le film. Après avoir iconisé et fait entendre la parole nécessaire des prostituées dans MUCH LOVED, Nabil Ayouch tourne cette fois sa caméra et son regard singulier sur une génération. À travers ce personnage d’ancien rappeur devenu prof, HAUT ET FORT fait entendre et voir le monde à travers le portrait multiple d’adolescents à Sidi Moumen, banlieue de Casablanca. Ils sont jeunes, garçons, filles, réunis dans cette même classe pour apprendre grâce à la persévérance, la patience de ce prof, Anas, à faire du Rap.

Alors dans un dispositif qui rappelle ENTRE LES MURS (une précédente Palme d’Or, tiens, tiens…) ou ÊTRE ET AVOIR, le documentaire phénomène de Nicolas Philibert, Nabil Ayouch va filmer cette classe, ce cours de rap, comme une arène de la société, une agora où par la discussion, le parcours de chacun, le monde extérieur résonne entre les quatre murs bienveillants de cet espace protégé. Mais surtout, et c’est là toute la force et la jubilation du film, ce propos politique est mélangé à un pur film de rap, un film d’apprentissage entre spectacle et constat social comme le cinéma américain a pu en produire dans les années 1990 (les premiers films de Spike Lee, ESPRITS REBELLES, SISTER ACT 2). À la fois portrait politique de la société marocaine contemporaine mais aussi film musical lumineux et entraînant, HAUT ET FORT est un grand film sur l’apprentissage, sur le goût de l’école, de la transmission. Un film sur la façon de trouver sa voix, la difficulté de se faire entendre, la sincérité nécessaire et la difficulté de l’atteindre. Un film qui donne la sensation d’être pile au cœur de notre époque, de faire résonner par le fond et par la forme, un désir de liberté et les contraintes paradoxales qu’il suppose.

Que ces jeunes rappent sur l’argent (formidable moment musical, hommage aux clips de rap 80’s) ou sur la place des femmes dans la société marocaine, Ayouch utilise la comédie musicale comme une plongée dans l’intimité de sa bande d’adolescents. Des échappées tantôt jubilatoires et joyeuses, tantôt plus déchirantes (une magnifique scène de danse sur les toits) ou carrément poétiques et politiques (un affrontement façon WEST SIDE STORY face à l’intégrisme). Il réussit un parfait film de bande, à la fois porté par l’énergie du groupe (les longues scènes de travail, de cacophonie et de discussions sont électrisées par une mise en scène qui donne constamment l’illusion de la spontanéité documentaire) et ouvert à l’individualité de chacun (les jeunes comédiens non professionnels sont formidables). Ils existent tous et toutes à l’écran, kaléidoscope passionnant d’une société au bord des traditions d’hier et des envies d’aujourd’hui.

D’abord décontenancé par le sujet, on se laisse très vite emporté par la jubilation de voir un film lumineux être pourtant aussi politique et inquiet sur l’état du monde. Tandis que se rapproche tous ceux qui voudraient faire taire ces voix, cette musique, Ayouch redouble d’énergie, redouble d’ambition formelle pour montrer à quel point l’enseignement, la transmission vont porter cette génération plus loin. Des jeunes filles qui dansent et s’amusent dans la rue tandis qu’une femme plus âgée les croise timidement, une impressionnante scène Krump pour raconter la colère, le rap engagé d’une jeune fille qui veut se libérer du patriarcat : le film est parsemé de scènes puissantes, toujours mises en scène avec précision et invention. Culminant dans des larmes, HAUT ET FORT l’air de rien s’impose comme un grand film, à la fois au cœur du monde mais jamais lesté ou écrasé par celui-ci. Du cinéma comme une victoire, une envie de croire que forcément, ça ira mieux demain.

De Nabil Ayouch. Avec Anas Basbousi, Ismail Adouab, Meryem Nekkach. Maroc. En salles le 10 novembre

 

HautFort 1

 

 

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