Cannes 2021 : LES INTRANQUILLES / Critique

17-07-2021 - 14:07 - Par

Cannes 2021 : LES INTRANQUILLES / Critique

De Joachim Lafosse. Sélection officielle, Compétition.

 

Depuis NUE PROPRIÉTÉ, À PERDRE LA RAISON ou encore L’ÉCONOMIE DU COUPLE, Joachim Lafosse s’avère être un grand anatomiste du couple et de la famille. Sa spécialité, observer avec minutie comment cette cellule réagit au contact d’un tiers élément, qu’il soit un nouvel amant, un père de substitution bien trop présent ou un divorce. Dans LES INTRANQUILLES, l’intrus, c’est la maladie. Damien est bipolaire. Le réalisateur belge ne nous donne pas un cours sur cette affection du mental mais en filme sa manifestation et ses conséquences. Dans un premier temps, la caméra suit au plus près Damien, son corps qui ne trouve jamais le repos, ses bruits de pas permanents, bande son de son agitation, ses actes impulsifs et ses yeux rouges et hallucinés par l’absence de sommeil. Damien est peintre et le cinéaste joue ce cliché romantique du peintre habité, incapable de dormir tant qu’il n’a pas fini une œuvre, pour mieux lui retirer son charme complaisant et ignare. Car ce qui intéresse Joachim Lafosse, ce sont ceux qui sont autour du malade, les dommages collatéraux de la crise. En adaptant en permanence sa mise en scène et ses cadres à la montée maniaque de Damien, le réalisateur nous immerge dans l’angoisse d’une Leïla débordée, inquiète et triste. Irrespirable. À la limite du cinéma de genre, il filme comment la maladie contamine tout autour d’elle. Comment elle rebat en permanence les cartes de l’équilibre parents-enfant qui, petit à petit, et malgré un amour omniprésent, se désagrège pour n’être plus qu’un jeu d’alliances temporaires. Mais aussi, comment elle infecte l’autre dont la santé mentale finit elle-même par être mise en danger, dans une deuxième partie où Leïla devient le centre. Cet effet de bascule est ce qu’il y a de plus fort dans LES INTRANQUILLES, qui a déjà pour lui une image sublime, une mise en scène au cordeau et un trio d’acteurs (Damien Bonnard, Leïla Bekhti et Gabriel Merz Chammah) qui tutoie la perfection. Joachim Lafosse déplace nos inquiétudes, nous interroge sur la façon dont on envisage et regarde la maladie et ceux qui la touchent de trop près. Il évoque la fatigue, la honte, l’amour malgré tout, la confiance brisée à jamais et questionne l’élasticité du couple face à ce cataclysme qui nécessite d’être bien plus roseau que chêne. Tourné en tant de pandémie, le film intègre les masques à sa narration. En plus d’apporter une sensation de réalisme et d’immédiat à ce que l’on regarde, ils deviennent l’incarnation terrible de la façade entre l’intime et le public, le dernier rempart normalisateur pour contenir les effets ravageurs de la maladie mentale. LES INTRANQUILLES est sûrement le meilleur film d’un cinéaste qui n’en a pas fini de mettre à rude épreuve notre système immunitaire domestique.

De Joachim Lafosse. Avec Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah. France. 1h58. En salles le 6 octobre

 

 

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