Cannes 2022 : MOONAGE DAYDREAM / Critique

24-05-2022 - 08:00 - Par

Cannes 2022 : MOONAGE DAYDREAM / Critique

De Brett Morgen. Sélection officielle, Hors compétition / séance de minuit

 

Après Kurt Cobain dans MONTAGE OF HECK, Brett Morgen s’attaque à Bowie. Un portrait expérimental dont la limite est son jusqu’au-boutisme.

Comment résumer une personnalité décisive et complexe en un seul film de deux heures ? En fiction, la mission semble presque impossible. En documentaire, la forme et ses tropismes peut faciliter la tâche, les témoignages et les archives permettant une multitude de points de vue, balayant un spectre large d’informations et d’analyses. Sauf quand on choisit, comme Brett Morgen sur MOONAGE DAYDREAM, de favoriser une seule perspective : celle de la personne que l’on traite. En l’occurrence, ici, David Bowie. Pas étonnant de la part du cinéaste, spécialiste des portraits intimes – le producteur de cinéma Robert Evans dans THE KID STAYS IN THE PICTURE, Kurt Cobain dans MONTAGE OF HECK et la primatologue Jane Goodall dans JANE. Sauf qu’ici, Morgen pousse les potars à 11 et fait de MOONAGE DAYDREAM une expérience encore plus exigeante, et parfois déroutante. L’an passé dans THE VELVET UNDERGROUND, Todd Haynes parvenait à encapsuler la quintessence du groupe mais aussi de son propre cinéma, en un troublant exercice mêlant le classicisme et l’expérimental. MOONAGE DAYDREAM ne verse presque que dans l’expérimental. Dans la forme, tout d’abord, film collage d’images et de sons, d’archives (concerts, émissions télé, entretiens), d’extraits de films, de petits moments en animation stop motion etc. Mais aussi dans sa narration-même, qui ne cherche absolument jamais le didactisme. Bien que le récit soit globalement très linéaire et chronologique (en dépit de quelques allers-retours), on navigue sans balise ni boussole dans les époques et dans les grands thèmes ‘bowiens’ – son androgynie, sa bisexualité, son désir d’introspection, ses défis à l’ordre établi, son exigence et, bien évidemment, son inlassable besoin de se réinventer, de réimaginer sa musique, son image et sa personnalité, quitte à se créer des personnages. Ce portrait protéiforme, forcément très pertinent et parfois franchement euphorisant, Morgen en laisse les clés à Bowie, seul narrateur de MOONAGE DAYDREAM – en voix off, via des archives. Le cinéaste ne fait recours à aucun témoignage de proches ou d’experts. À aucune voix off explicative ou de remise en contexte. L’expérience, intellectuelle, se révèle parfois un parfait vecteur de l’étrangeté évocatrice et poétique de la musique de Bowie. Mais ce jusqu’au-boutisme à la limite de l’hermétisme reste aussi sa limite : MOONAGE DAYDREAM s’adresse avant tout aux connaisseurs, refusant à ce point toute pédagogie qu’aucun titre de chanson ou d’album n’est cité à l’écran. Un manque de générosité à l’égard des profanes que l’on ne peut s’empêcher de regretter, tant l’œuvre de Bowie, unique dans l’histoire du rock, mérite au contraire d’être transmise et partagée.

De Brett Morgen. Documentaire. 2h20. Prochainement

 

 

 

 

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