Cannes 2022 : THE SILENT TWINS / Critique

24-05-2022 - 21:45 - Par

Cannes 2022 : THE SILENT TWINS / Critique

D’Agnieszka Smoczynska. Sélection officielle, Un Certain Regard

 

Deux sœurs vivent dans le silence et un monde d’histoires. Une expérience parfois difficile à appréhender, qui n’en devient que plus précieuse.

On avait laissé la cinéaste polonaise Agnieszka Smoczynska en 2019 sur son excellent FUGUE, histoire d’une femme confrontée à un passé, un mari et un fils qu’elle avait oubliés, récit aux confins du conte, flirtant avec le fantastique et le symbolisme afin d’explorer les mystères de l’esprit humain. Autant dire qu’elle ne nous surprend guère quand on la retrouve aux commandes de THE SILENT TWINS, inspiré de la vie des sœurs June et Jennifer Gibbons, poètesses et écrivaines qui, à l’enfance, se sont murées dans le silence, ne communiquant qu’entre elles et, parcimonieusement, avec leur famille. Tout comme dans FUGUE, Smoczynska se lance ainsi dans la quête folle de compréhension de l’esprit, dans tout ce qu’il peut avoir d’unique et curieux. La force de THE SILENT TWINS réside évidemment dans la performance de Tamara Lawrance (SMALL AXE –EDUCATION) et Letitia Wright (BLACK PANTHER), toutes deux superbes d’implication, dans la tendresse et l’affection comme dans la colère et la violence – à l’égard du monde et à l’égard l’une de l’autre. Mais avant tout, THE SILENT TWINS brille grâce au regard d’Agnieszka Smoczynska, cinéaste qui, plus que jamais, prouve ne se conférer à aucun code – si ce n’est pour les subvertir. Son audace débute dès le générique, lu et commenté à haute voix par les jeunes actrices interprétant les Gibbons à l’âge de 12 ans. Un parfum d’inédit qui suscite l’interrogation sur le ton du film. Une première séquence vient tout clarifier : les jeunes Gibbons, filmées en gros plan, dans une lumière chaude, colorée et rêveuse, animent une émission de radio. Dans leur monde. Lorsque le point de vue change – celui de leur mère entrant dans la chambre –, la réalité éclate à l’écran : tout est terne, silencieux, presque sans vie. Pour conter l’histoire des sœurs Gibbons et à travers elles, le pouvoir transcendantal du storytelling, Smoczynska ne s’interdit rien (citons des intermèdes en animation stop motion étranges ou sinistres) et joue souvent de cette juxtaposition où jaillit le fossé entre leur perception et la réalité, entre leur monde interne, onirique, et le monde externe, souvent sordide. Émane de cette perspective des moments de cinéma splendides – une danse dans un tunnel, sous des néons mauves –, d’autres tragiques – leurs premières expériences sexuelles. Jamais tiède, THE SILENT TWINS n’occulte rien de son sujet, quitte à rendre ses protagonistes difficiles à appréhender, voire à apprécier par moments. Quitte à devenir lui-même parfois extrêmement raide et malaisant – les séquences où June et Jennifer se déchirent sont particulièrement dures. Sans doute parce que la cinéaste ne mène jamais son film vers le sentimentalisme pathétique ou le tire-larmes académique. Les émotions sont ici à nu, les nerfs et la chair à vif. Un chemin de croix qui connaît quelques à-coups dans le dernier tiers, avec des avancées dans le temps un poil brutales. Mais une conclusion et un épilogue en tout point splendides. Smoczynska nous laisse alors enfin verser quelques larmes : elles sont sincères, méritées, jamais forcées. La marque des films qui restent en mémoire pour une intransigeance qui, au final, n’est que le témoignage de leur cœur.

D’Agnieszka Smoczynska. Avec Tamara Lawrance, Letitia Wright, Michael Smiley. Grande-Bretagne / Pologne. 1h53. Prochainement

 

 

 

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