Cannes 2022 : TORI & LOKITA / Critique

24-05-2022 - 21:28 - Par

Cannes 2022 : TORI & LOKITA / Critique

De Luc et Jean-Pierre Dardenne. Sélection officielle, compétition

 

Lorsque les Dardenne se ratent, ils ne le font pas à moitié.

Comment, sur le papier, réfuter un film qui s’intéresse au sort des migrants et des réfugiés politiques, condamne le sort que l’Europe leur réserve une fois qu’ils ont atteint ses terres et l’exploitation amorale que certains font de leur précarité ? L’intention des frères Dardenne est évidemment humaniste, les cinéastes visent une prise de conscience du public et, engagés, se rangent du côté des plus faibles et des opprimés. Mais TORI & LOKITA ne reflète pas cette intention, tant l’exécution se révèle heurtée et approximative. Lokita, Béninoise réfugiée en Belgique, tente d’obtenir des papiers. Et pour ça, tente de faire croire aux autorités qu’elle est la grande sœur de Tori, garçon qu’elle a rencontré sur le bateau qui les a menés en Europe. Lui est en règle, car il a été persécuté pour être né sorcier. Le soir, ils dealent pour un cuistot peu scrupuleux afin d’envoyer de l’argent au pays et payer leurs passeurs. La situation va vite dégénérer… Toujours chevillés à une esthétique – caméra portée et lumière ultra naturaliste – qui dépasse presque la notion de style et d’idiosyncrasie pour s’imposer en automatisme, les Dardenne ne proposent aucune nouveauté de dispositif, ni même la moindre altération visible. Si bien que, dès ses premières scènes, TORI & LOKITA apparaît comme sur des rails, tandis que leur mise en scène, lymphatique, sans grande idée, semble vidée de toute énergie de vie et de cinéma. Le pire de l’entreprise restant toutefois l’écriture qui, en écrasant ses personnages sous un misérabilisme constant, oublie de les humaniser et se révèle incapable de ne pas les réduire à une fonction – celle de victime. Hormis quelques détails artificiels et superficiels, que sait-on de Tori et de Lokita, en dehors de leurs galères ? Rien. Jamais les Dardenne ne nous ouvrent leur cœur, leurs états d’âme et n’abordent leurs espoirs que lointainement, sans incarnation – les derniers dialogues sont à ce titre comme dévitalisés de toute rage, voire de toute tristesse. Sous le chantage sous-jacent permanent du pire à venir, Tori et Lokita se débattent contre un script qui fait d’eux des pantins de la tragédie. S’opère alors une mise à distance émotionnelle, où tout apparaît mécanique et programmatique. D’autant que la mécanique narrative, qui détaille et répète chaque obstacle par le menu, au mépris de toute ellipse, figure maladroitement la complexité constante et kafkaïenne de leur vie, mais mène surtout à un récit lourd, dénué de toute fluidité. Un ratage à oublier très vite.

De Luc et Jean-Pierre Dardenne. Avec Joely Mbundu, Pablo Schils, Alban Ukaj. Belgique. 1h28. En salles le 28 septembre 2022

 

 

 

 

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